Alors que son nouvel et excellent album « Macadam animal » est dispo depuis aujourd’hui dans les bacs, nous n’avons pas hésité à interviewer Guillo pour revenir sur l’opus en question, mais aussi ses craintes et désirs…
Si l’on devait te résumer en tant qu’artiste… Comment voudrais-tu que l’on te présente ?
Je suis un autodidacte amoureux des mots qui écrit des chansons à l’instinct. J’aime m’adresser aux autres humains par ce biais, en allant aussi à leur rencontre sur scène.
Tu abordes des thèmes très variés sur cet album, d’où provient ton inspiration ?
Pour Macadam Animal c’est d’abord parti de récits historiques sur les amérindiens, à travers l’oeuvre de Jim Harrison. Après avoir lu Dalva, Légende d’automne, ou son autobiographie, j’ai ressenti le besoin très fort de recouper certains pans de l’histoire des indiens d’Amérique avec ma propre histoire familiale. Je suis le descendant de colons espagnols qui sont allés chercher une vie meilleure en Algérie, au 19ème siècle. Mes grands-parents et parents ont ensuite été obligés de quitter cette terre où ils étaient nés, au moment de la guerre d’indépendance.
Pour comprendre un peu ta façon de travailler, de t’inspirer… Comment en arrive-t-on à parler d’un caillou. Comment t’es venue l’idée de cette chanson ?
C’est l’oeuvre d’un ami Suisse qui s’appelle Fox Kijango. Fox est un ancien punk qui aime la chanson, la peinture et la poésie. On s’est rencontrés à Astaffort en 2007 et depuis nous sommes restés proches. À l’occasion d’une résidence d’écriture, il m’a proposé ce texte. Comme j’aime bien composer et interpréter des points de vue décalés, cette histoire m’a parlé immédiatement. Je ne l’ai pas bougé son texte d’une virgule.
Peux-tu nous parler de Algania ? car la seule chose que l’on retrouve sur Google avec ce nom est un canapé Ikea 😉
Ah ! ah ! J’ignorais qu’il existait un modèle de ce nom chez les Suédois ! Comme je te le disais, j’avais envie de raconter l’histoire des mes arrières-arrières grands-parents, premiers « pionniers » arrivés en Algérie pour y travailler la terre, défricher, essayer de se construire une nouvelle vie au 19ème siècle. Je voulais que la chanson puisse faire penser à l’Afrique du Nord mais sans forcément citer directement le nom du pays, pour conserver un peu de mystère. J’ai donc choisi l’anagramme de mon nom de famille, « Galiana » … du coup « Algania » commence comme « Algérie » et je conservais le même nombre de syllabes.
Le bruit des balles est un texte très fort également. Penses tu que le paix universelle soit réellement possible ou utopique malheureusement ?
Difficile de répondre à cette question en quelques lignes. À l’échelle planétaire et géopolitique, malheureusement je ne pense pas que la paix universelle totale soit possible. L’histoire nous démontre qu’il y a toujours eu des conflits entre les êtres humains, et qu’il y en aura toujours. Notre espèce est capable du meilleur comme du pire, surtout lorsqu’il s’agit de se rassurer et se sentir plus en sécurité … ajoute à cela notre instinct de survie, l’idée de propriété, le progrès, les croyances, l’esprit de conquête : le « package » des problèmes planétaires de l’être humain. Mais la paix commence aussi à petite échelle : on doit la cultiver dans notre quotidien, avec les autres et avec nous-mêmes. C’est la seule façon d’avancer.
Peux-tu nous en dire plus sur l’esthétique autour de cet album et du clip, les masques etc… Que représentent-ils pour toi ?
C’est notre part animale, justement. Nous sommes des mammifères dressés sur nos deux pattes arrière, et on a parfois tendance à oublier d’où l’on vient. Et puis ça représente aussi notre face cachée, notre côté sauvage, liée de « meute » ou celle de « troupeau ».
Ce petit concept me permettait aussi de faire le lien avec ma famille. Au départ, l’idée des masques est venue d’une phrase que je chante à la fin d’Algania « Dans l’histoire contée par grand-mère, tapie dans les broussailles les yeux noirs d’une panthère ». C’est mon arrière grand-mère, Jeanne, qui racontait à ma mère cet épisode Algérien où elle avait été suivie par une panthère en pleine forêt, en allant amener un panier de victuailles à son père sur un chantier. Quand j’étais gosse, ce récit me fascinait à chaque fois.
Concernant l’esthétique de l’album, il fallait renouveler le plaisir et ne pas camper sur ses propres acquis. Depuis 5 ans j’ai fait beaucoup de concerts en solo mais j’ai aussi commencé à travailler avec Benoit Crabos, avec qui on forme un binôme très complémentaire. Le son a donc changé progressivement et aujourd’hui, on va proposer avec cet album et évidemment sur scène quelque chose de plus électrique, avec l’ajout des machines et des claviers, vers un côté plus « cinématographique », parce qu’on adore ça.
Tu sembles préoccupé par beaucoup de choses à l’écoute de tes chansons, mais y-a-t-il une problématique plus forte qui te tracasse plus qu’une autre aujourd’hui ?
La situation mensongère dans laquelle nous vivons à cause des hommes d’affaire qui nous gouvernent, partout dans le monde. L’idée qu’ils se font du pouvoir et du progrès n’est pas du tout en accord avec la situation écologique et sociale dans laquelle nous vivons. Il y a un trop grand décalage entre la façon dont nos sociétés se sont organisées et la façon dont nous avons évolué ces dernières décennies. Tout va trop vite : certains en profitent, certains sont dépassés. J’essaye de demeurer optimiste, mais c’est parfois très dur.
Pour cet opus tu as recourt également à un système participatif… Est-ce compliqué pour un artiste tel que toi d’obtenir du soutient à grande échelle des maisons de disques malgré la qualité de tes albums ?
Les grosses maisons de disques aujourd’hui ne s’intéressent pas aux artistes s’ils n’ont pas une fan base de plusieurs milliers de personnes et ne remplissent pas déjà des salles de concert d’au moins 500 places, voire plus. Même si je vis bien de ma musique et que j’ai tissé du lien avec mon public, mon statut n’est pas assez conséquent pour que les « gros » de l’industrie musicale aient envie de me soutenir ou de me proposer un quelconque partenariat. Comme beaucoup d’indés, j’ai donc appris à m’organiser tout seul, en pratiquant le « 360 » et en gérant beaucoup d’aspect de ma carrière moi-même. C’est aussi l’assurance d’une grande indépendance artistique et d’un lien privilégié avec les gens qui aiment ce que je fais, ça m’encourage à continuer. Il y a une part de financement participatif mais surtout de l’argent investi personnellement, par ma structure de prod, Cinq Secondes, et des subventions alloués par certains organismes institutionnels ou privés.
Ton premier album remonte à 2013… En 5 ans, quel est ton regard sur l’évolution du paysage musical, mais aussi sur notre monde !
Les consciences se réveillent depuis quelques temps, et ça me réjouit. Le ras-le-bol général a fait place à la contestation, à l’action pour certains. Je ne sais pas comment tout cela finira, mais c’est rassurant de voir à quel point nous avons, nous aussi, le pouvoir de faire entendre notre voix, pour espérer changer de paradigme et construire dans les prochaines années une « vraie » démocratie. On en rêve !
Côté musique, en ce moment j’écoute le dernier album de Disiz en boucle, j’avais déjà adoré les autres et notamment Pacifique. J’ai aussi un faible pour Angèle, dont l’album est excellent. J’attends avec impatience le retour de Batlik et celui d’Astonvilla.
Notre avis sur l’album de Guillo est par ici
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