A l’occasion du 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, nous avons pu rencontrer Greg Kwedar, réalisateur, co-scénariste et producteur et Clint Bentley, co-scénariste et producteur du film Sing Sing, en compétition lors du festival.
Tout d’abord félicitations pour ce film. Il est touchant et inspirant, ainsi que très humain. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire ?
Greg Kwedar : J’ai travaillé sur ce projet pendant 8 ans. J’ai été attiré par le sujet d’une manière assez inattendue, puisque je produisais un court métrage documentaire sur les prisons de haute sécurité, au Kansas. C’était la première fois que je me retrouvais dans une prison. Et pendant qu’on visite la prison, je passe à côté d’une cellule et je vois cet homme en train de soigner un animal blessé, à l’intérieur de sa cellule.
Ca m’a immédiatement stoppé, parce-que ça contredisait tout ce que je pensais de la prison et des prisonniers, à travers les films que j’avais pu voir en grandissant.
Ce que j’ai vu dans cette cellule, c’était quelqu’un qui soignait et qui se soignait en même temps.
Du coup, le soir même, dans ma chambre d’hôtel, je me suis mis en tête de vouloir savoir qui faisait les choses différemment en prison. Je me suis mis à chercher sur google et je suis tombé sur ce programme : « Réhabilitation à travers l’art », qui est en place depuis 1996 et qui a été fondée par Katherine Vokins. Elle a ensuite rencontré plusieurs prisonniers, qui voulaient monter une pièce de théâtre. Ils ont fait leur première pièce et puis ils ont continué.
J’ai également trouvé un article d’Esquire Magazine, qui parlait d’une pièce de 2005, intitulée : Breakin’ the Mummy’s Code, sur le voyage dans le temps. Et il y avait quelque chose dans la manière de faire, dans la joie qui se dégage à l’idée de jouer une pièce, alors que ces hommes sont en prisons, qui m’a semblé une belle expérience.
J’ai voulu ressentir cette joie qu’il avait et j’ai donc contacté, assez rapidement, les personnes impliqués dans ce projet, ainsi que Brent Buell, qui a écrit Breakin’ the Mummy’s Code. Il m’a raconté de nombreuses histoires et cela a tout simplement confirmé mon intérêt pour le sujet. Mais il m’a dit une chose importante : « si tu veux vraiment comprendre cette histoire, tu dois rencontrer les personnes qui la vivent. ».
Je me suis donc rendu à New York, il avait invité des amis à lui. Ce sont d’ailleurs sont les vraies personnes représentées dans le film, le vrai Divinie Eye (Clarence Maclin), le vrai Divine G (Colman Domingo), etc.
Et puis il y avait une énergie tellement chaleureuse, c’était drôle, c’était vivant… J’ai dit à Clint : « imagine si on pouvait prendre cette énergie, qu’on vient de ressentir et la transposer sur un écran, on pourrait créer quelque chose de spécial. ».
Ce qu’on ne savait pas, c’est que ça allait nous prendre 6 ans de plus pour monter ce projet.
Clint Bentley : Greg m’a raconté son expérience en prison quand il produisait le documentaire et cette envie qu’il avait de raconter cette histoire. On a déjà vu des films sur la prison, mais on voulait faire quelque chose de plus réel, montrer une réalité qu’on avait pas encore vu au cinéma et qui peut être souvent un peu cliché dans ce genre de films.
Et puis, on est devenus professeurs de théâtre, on est allé dans une prison de haute sécurité pour donner des cours, de ce fait ça a été une vraie responsabilité pour nous dire de raconter cette histoire de la meilleure manière possible. Et de révéler aussi toute cette humanité qu’il y a dans ce genre d’endroits, mais qui est souvent oubliée.
Greg, qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce film ?
C’est intéressant, parce-que j’ai l’impression que certains films vous prennent et ne vous lâchent plus. Vous ne savez pas vraiment pourquoi, ça attise votre curiosité, vous vous posez des questions, qui resteront probablement sans réponses. Et je trouve que ça permet à votre esprit d’explorer, de découvrir différentes choses. Ca vous laisse de la place pour différentes interprétations.
Et puis malgré le fait qu’il y a tellement de noirceur dans le monde, plus particulièrement dans une prison de haute sécurité et que malgré ça, ils peuvent créer de l’art dans cet endroit. Ca m’a donc paru urgent de réaliser ce film, de raconter cette histoire, de la mettre en lumière et de la transmettre aux personnes qui vont voir le film, à travers le monde.
Clint, vous êtes aussi réalisateur, vous n’aviez pas envie de réaliser ce film ?
Greg et moi ont travaille ensemble depuis 14 ans. On écrit un scénario ensemble et ensuite l’un de nous le réalise et l’autre le produit. Et généralement, c’est celui qui a eu l’idée en premier qui réalise le film. Du coup, c’est Greg qui l’a réalisé. Mais je n’imagine personne faire un meilleur travail que celui qu’il a fait, il a apporté une telle humanité, une telle profondeur et il a permis aux acteurs de pouvoir vraiment briller, en leur laissant l’espace nécessaire sur le plateau. Chacun d’eux a pu donner le meilleur de lui-même, sachant qu’en plus, nombre d’entre eux n’avait jamais joué dans un film avant.
Du coup, j’étais très heureux de le soutenir et qu’il ait réalisé ce film, c’était le choix évident.
Vous avez tourné dans une vraie prison ?
Greg Kwedar : Oui, nous avons tourné à 4 endroits différents, pour obtenir le décor entier. Tous les plans à l’extérieur, sont ceux de la vraie prison de Sing Sing. Mais pour les intérieurs, puisque Sing Sing est toujours actif, nous avions besoin d’un endroit où nous pouvions être libres de nos mouvements. Nous avons donc tourné dans une prison de haute sécurité, appelée Downstate, à New York, qui a fermé 1 mois avant que nous débutions le tournage.
Ce qui était aussi unique avec cette prison, c’est que si vous allez servir une longue peine de prison, vous passez d’abord par cette prison, avant d’être envoyé dans une autre prison des Etats-Unis. Donc, les acteurs qui jouent dans notre film, qui sont d’anciens prisonniers, ont du retourner dans le même endroit, où il avait été enfermé, auparavant.
A quel point c’est difficile pour vous de faire des films en tant que cinéastes indépendants ?
Greg Kwedar : Je vous ait dit que ça nous avait pris 8 ans pour faire ce film ? (rires)
On a toujours trouvé un moyen de faire nos films. On a une carrière qui marche un peu, un pied dedans, un pied en dehors de l’industrie et je pense que vous êtes cinéaste aux Etats-Unis, vous vous retrouverez toujours un peu de cette manière.
Vous avez des projets, où vous devenez l’employé de votre propre idée, parce-que celle-ci est désormais contrôlée par un studio, ou un producteur, avec qui vous avez signé un contrat qui le rend propriétaire de votre idée. De ce fait, un producteur peut vous virer s’il le veut, alors qu’à la base, c’est votre idée, pas la sienne…
Et d’un autre côté, vous avez des projets où vous êtes le propre patron de votre idée et c’est le cinéma indépendant. Pour une fois, vous pouvez voir le côté positif et négatif de prendre les décisions pour votre film, mais ça vous permet de suivre votre instinct.
Ce qu’on a réussi à réaliser comme films, jusqu’ici, on l’a fait par nous-mêmes, quoi qu’il en coûte. Désormais, on a la possibilité de pouvoir travailler avec d’autres partenaires dans l’industrie, qui rendent plus simple et moins longue le processus de réalisation de nos films.
Mais je pense que de travailler d’une manière constante et sans avoir d’énormes réussites du jour au lendemain, ça nous permis de mieux comprendre beaucoup de choses, sur le fait de savoir avec quelles personnes ont veut s’entourer et d’avoir plus de contrôle créatif sur nos films, ce que je trouve très important.
On essaie aussi de créer un environnement de travail sain, où chacun se sent bien, respecté, écouté, pris en compte. Je trouve que beaucoup de techniciens, ou d’acteurs ont été dégoutés par certaines choses qu’ils ont vécus. On tente donc de faire en sorte qu’il ne revive pas ce genre de situations.
Sur nos deux derniers films, on a établi notre système de paie, en se basant sur la parité. Tout le monde a été payé le même salaire, quel que soit son poste sur le film. La seule chose qui diffère c’est le temps de travail.
De cette manière, les acteurs, notamment les anciens prisonniers, ont le contrôle total sur leurs histoires et ils ne se sentent pas exploités, ainsi que leurs passifs. Et cela influe sur le film et sa qualité, ça permet d’avoir une confiance, les uns envers les autres.
Clint Bentley : Comme l’a dit Greg, ça nous a pris 8 ans pour faire le film. Greg a trouvé un article sur le sujet, directement après Transpecos, son premier long métrage. Il a fallu 6 ans pour que nous commencions à tourner.
Je pense qu’avec ce film ça a été vraiment difficile parce-que c’est un film très humain, ce n’est pas cliché dans le sens, où ce n’est pas ce qu’on a pu voir avant, avec des histoires de gangs au sein de la prison, etc. Le problème étant, que beaucoup de producteurs et de studios à Hollywood, n’étaient pas intéressés notre histoire et la manière dont on l’a écrite. Ils ne pensaient pas que le public allait avoir envie de voir ce sujet, traité avec ce côté très humain.
C’est toujours dur de trouver de l’argent pour faire un film, mais celui-ci était vraiment spécial. Et aussi, je pense que ça avait aussi besoin de temps pour que le projet se développe. Donc le film c’est fait quand il devait, mais ça a pris beaucoup de temps.
Comment avez-vous fait le casting pour les acteurs non-professionnels ?
Greg Kwedar : Puisqu’il existe déjà un listing de toutes les personnes qui font du théâtre en prison, le choix était assez vaste et tous sont talentueux. Donc on a du décider, assez difficilement, de qui allait être dans le film.
Notre productrice, qui enseigne le théâtre dans les prisons, a donc travaillé avec le vrai Brent Buell et le vrai John « Divine G » Whitfield (joué par Colman Domingo). Ensemble, ils ont donc lancé un casting, en pitchant le film et ils ont castés les acteurs via Zoom, en essayant différentes choses (lire les dialogues, faire de l’improvisation, etc.).
Quand vous avez écrit le scénario, vous saviez d’ores et déjà que vous vouliez écrire une histoire très humaine, où chaque personnages n’est pas manichéen ?
Clint Bentley : Oui, ça a toujours été là, dès le début. C’est important pour Greg et moi de reconnaître cette humanité et d’essayer de passe outre les stéréotypes qu’on peut avoir de tel, ou tel personne.
On essaie donc de faire cela dans chacun de nos films, qu’il n’y pas d’un côté les gentils, de l’autre les méchants. Parfois, nous sommes juste victimes des circonstances et parfois on essaie de faire au mieux et à d’autres moments, non.
Dans les films de prisons, c’est souvent à propos d’une personne innocente qui n’a pas commis le crime et on se dit : « oh donc ça c’est le gentil et les autres sont les méchants qui méritent d’être en prison. » et ce n’est pas du tout ça qu’on voulait représenter avec notre film.
On voulait aborder le fait que même s’il y a des personnes innocentes en prison, d’autres qui ne le sont pas, n’ont pas à être jugé et définis uniquement par cette erreur qu’ils ont commis. Ils sont marqués à vie par cette erreur, qu’ils soient en prison, ou dehors s’ils sortent un jour. Et je pense que personne n’a envie d’être jugés à cause de tel, ou tel erreur, que la personne a pu commettre 2 mois, 20 ans auparavant, etc.
Quel conseil vous donneriez à un jeune cinéaste ?
Greg Kwedar : Je dirais de bien examiner le processus de fabrication, que ce soit pour la partie financière, mais aussi le casting, comment il est fait, est-ce qu’il me convient ? Peut-il être plus juste, plus dans la confiance, moins transactionnel ?
Et pour finir, choisissez une date de début pour votre film. Ne dites pas, « ça va peut-être dans quelques jours, quelques mois, quand j’aurai plus de temps, etc. ». En décidant d’une date, cela créé un sentiment d’urgence pour devoir le faire.
Clint Bentley : Une chose que j’ai appris quand j’étais plus jeune, c’est d’accepter que ça prendra le temps que ça prendra. Essayez de faire de l’art, même si vous le faites avec zéro budget, avec des amis et un téléphone. Continuez de faire des choses et en faisant cela, vous allez trouver votre style en tant qu’artiste et des portes vont s’ouvrir.
Certaines choses vont arriver, parce-que vous aurez fait en sorte qu’elles arrivent. N’attendez pas qu’une opportunité vienne à vous, créez-vous cette opportunité.
Quels sont vos prochains projets ?
Clint Bentley : Greg et moi avons écrit un scénario adapté d’une nouvelle de Denis Johnson, intitulé Train Dreams avec Joel Edgerton et Felicity Jones. Je l’ai réalisé et nous sommes actuellement en post-production.
Greg Kwedar : On travaille avec Clint sur mon prochain film en tant que réalisateur, mais on cherche encore sur quel sujet. C’est encore le tout début.
Propos recueillis lors du 50ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, Septembre 2024.
Critique de Sing Sing
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