Alors qu’il propose depuis quelques semaines maintenant son magnifique EP « Où est la joie ?« , véritable coup de coeur de notre site, on avait une folle envie d’interviewer Jeancristophe afin d’en savoir plus sur lui et son univers.
Voici notre rencontre.
Z : Pour bien débuter, pourquoi voir écrit votre prénom de cette manière, sans espace ?
J : J’ai longtemps refusé qu’on m’appelle Jean-Christophe. Une longue histoire, que j’ai en partie écrite dans mon premier livre. C’était un propre rejet de moi-même, jusqu’à mon propre prénom. On m’appelait alors « cheche ». Quand j’ai sorti mon 1er album, en même temps que mon premier livre, je me suis senti me réconcilier avec la part de moi-même que je détestais, comme si les deux bouts de moi qui s’affrontaient se réunifiaient. « Jeancristophe » en un mot figure en quelque sorte cette réunification. Et cette forme de paix retrouvée m’a incité à enterrer le « h » de guerre. D’où ce « h » manquant…
Z : Après deux albums, c’est avec un Ep que vous êtes revenus… Pourquoi ce choix ?
J : J’avais deux envies en tête en commençant cette aventure : me faire plaisir, tout d’abord… Et trouver des partenaires pour m’accompagner jusqu’à l’album. L’EP représente pour moi la première étape de l’album, qui, j’espère, donnera envie à un label de m’accompagner. En tout cas, les chansons sont là, l’envie est là, y a plus qu’à…
Z : On sent une évolution assez marquée entre les débuts plus festifs, plus fou et cet Ep plus sobre, sombre et terre à terre… Est-ce une évolution naturelle ou temporaire.
J : Mon premier album, même s’il est associé pour moi à une renaissance, était assez sombre, il se terminait même par « d’étranges funérailles ». Disons que j’y explorais la lumière qui point dans la noirceur.
Dans le deuxième, « Ma vie en rose », j’ai eu envie du contraire, d’évoluer dans un univers lumineux, rose et pop, parfois kitch, même si les textes restaient à mes yeux plutôt sombres et tourmentés. Cet album a d’ailleurs été mal compris de ce que j’en ressens, peut-être que je m’y suis mal exprimé. En tout cas, il y avait effectivement une dimensions plus festive, voire régressive sur certains titres. Un peu comme parfois chez Katerine.
Ce nouvel EP est né du besoin de retrouver une forme d’expression plus brute, plus directe, plus « rock » en quelque sorte. De tomber le masque, même si je ne l’ai jamais autant fait que dans mon premier livre. Des chansons comme « Noeud gordien » ou « Extincteur d’âme » restent quand-même pas très loin d’une certaine folie… Mais pas une folie festive, ça c’est sûr !
Quant à la suite, je ne sais pas du tout la forme qu’elle prendra. Je ne me suis jamais senti appartenir à des « courants musicaux », ou proche d’une esthétique particulière. Par exemple, je compose aussi de la musique dite « contemporaine », des musiques de films ou de documentaires, j’écris des spectacles pour le jeune public, des livres pour les plus grands, et les formes prises par ces projets sont chaque fois très différentes. Mais si les formes changent, l’ADN de ces créations reste à mes yeux toujours le même.
Z : Votre site web est lui aussi très épuré… (même vide), est-ce une manière aussi de repartir à 0 ?
J : Effectivement, j’ai choisi de n’y faire figurer que des liens vers les clips ou l’écoute de l’EP. Le site qui avait été élaboré pour « Ma vie en rose » était très fourni, il y avait des notes d’intention, des interview, des bios de tout le monde, des explications sur le moindre choix artistique. Avec le recul, j’ai l’impression que ça me servait à contextualiser le disque, à aider à le faire comprendre. Là, j’ai l’impression qu’il n’y a pas besoin de contextualiser. C’est ce côté plus « brut » que j’évoquais.
Z : La poutre dans la prunelle est une chanson assez forte et semble assez intime. Est-ce que vos chansons se basent sur des expériences personnelles ?
J : Toutes mes chansons naissent du besoin de cristalliser une émotion forte, de celles qui m’empêchent de dormir ou de vivre en paix. « La poutre dans la prunelle » est à ce titre une chanson très importante pour moi. Elle aborde la peur de la fin d’un Amour, et, en creux, l’angoisse profonde et viscérale du rejet. Dans la chanson, plutôt que de tenter le diable, lâchement, je propose dans un premier temps de remettre l’amour à plus tard, d’attendre la fin « avant de nous éprendre ». Mais finalement les digues lâcheront, l’amour en vainqueur déversera nos affres, et le tragique reprendra ses droits. D’une manière générale, dans la création en tout cas, le tragique me rassure. Il est confortable. On sait d’avance que ça va mal finir, on n’a plus peur, et on est donc plus libre.
C’est cet amour naissant et la conséquence tragique de son aveu qu’a magnifiquement saisi Benoît DUVETTE, le réalisateur du clip. Notamment ce geste presque anodin de rejet de l’autre, qui mènera à cette fin « infernale », au sens premier du terme.
Ce clip est vraiment pour moi la rencontre magique d’une chanson et d’un film. Ça a été une expérience extrêmement émouvante. D’une certaine manière, ce clip change un peu ma vie. Il donne chair à des images mentales, les fixe en quelque sorte, alors qu’elles étaient fluctuantes, carnassières, et trouvaient à mordre dans tout visage en mesure de me faire vaciller.
Z : Prenons le temps de parler de vos clips, les dernier en dates semblent eux aussi plus dans la sobriété et moins dans la folie… Est-ce les chansons qui amènent à ça ou cette envie de quelque chose de plus esthétique.
J : Effectivement, des clips plus anciens comme « Obsession » ou « Je mixe à la maison » étaient un peu « fous », régressifs comme je le disais. Le clip de « Poupée de cire » était lui davantage onirique et esthétique.
Pour ces nouveaux clips, la folie est plus intérieure.
Dans le clip « Que sombrent les hommes », réalisé par Cédric DEFERT, je suis aveugle à la beauté du monde, enfermé dans une prison chimérique que constitue la forêt de poteaux plantés dans le sable, dont je pourrais m’évader si je voyais l’immensité du monde qui les entoure, figurée par cette immense et magnifique plage déserte. Cette prison, dans la chanson, c’est celle de ma tête, parfois enfermée dans des idées noires, celles de ne pas me trouver de place en ce monde et de ne pas l’aimer. Ce n’est pas un état permanent bien-sûr, mais c’est parfois très violent. D’où le besoin d’écrire cette chanson. Le clip retranscrit très bien cette succession de regards qui ne voient pas, comme quand le danseur passe juste à côté de moi, me lance un regard, et que je ne le croise même pas.
Le 2ème clip, celui de « Où est la joie ? », tout en animation, est pour moi une petite pépite. Pour le coup, on y retrouve de la folie je trouve. Ce sont les Kiki Bronx, un collectif lillois qui avait déjà conçu l’affiche d’un de mes spectacles, qui l’ont réalisé. On y découvre un personnage qui monte des marches, sans cesse, comme une ascension, une quête éperdue de la joie évoquée dans la chanson. Mais c’est en fait une sorte de Sisyphe, puisque l’escalier est un escalier de Penrose, un « objet impossible », une illusion d’optique.
Pour « La poutre dans la prunelle », l’esthétique, les cadrages, la lumière, le décor, ont été effectivement particulièrement soignés. C’est la première fois que je vois une équipe complète de tournage à l’oeuvre, avec un directeur photo, une assistante caméra, un chef opérateur et son équipe, des décorateurs… Mais au-delà des moyens mis en œuvres, et de la recherche d’esthétique, ça a surtout été une aventure artistique, humaine et émotionnelle particulièrement forte. La rencontre avec les comédiens, l’incarnation des rôles, la direction d’acteurs opérée par Benoît, et, d’une manière générale, tout ce qu’a mis en œuvre le Collectif des Routes pour mettre en images cette belle et tragique histoire d’amour, et la cicatrice qu’elle laissera, c’est ça que je retiens de ce clip. Ce clip est chargé d’émotion. C’est certes peut-être moins fou que les chorés que j’ai pu proposer dans d’anciens clips… Quoique ! On a quand-même brûlé un piano ! J’espère en tout cas vraiment que ce clip trouvera son public.
Z : Comment avez-vous découvert Yohann BARAN qui offre une prestation magnifique dans « Que sombrent les hommes »
J : Merci pour lui ! J’ai rencontré Yohann le jour même du tournage ! Nous nous étions bien entendu entretenu au téléphone avant, j’avais vu des vidéos de son travail, et il aimait la chanson. Mais je ne le connaissais pas directement. C’est Cédric, le réalisateur, qui a eu son contact. Je souhaitais un danseur dans ce clip, pour incarner, comme je le disais, la beauté et la grâce du monde, auxquelles je déplore d’être trop souvent aveugle. Yohann a tout de suite compris l’idée, et la chorégraphie s’est inventée in situ.
Z : D’autres collaborations prévues avec lui ?
J : Pas pour le moment. Mais si je peux aller jusqu’à l’album, j’ai une chanson qui serait parfaite pour l’inviter à nouveau.
Z : Avez-vous déjà travaillé sur la suite de cet EP ? Pouvez-vous déjà nous parler de ce qui se prépare ?
J : Les chansons sont prêtes, mais je souhaite vraiment ne pas poursuivre l’aventure seul. J’ai envie et besoin de vivre cette aventure en équipe, que les joies soient partagées.
Pour l’EP, j’ai été magnifiquement entouré artistiquement, avec une équipe de musiciens extraordinaire, Simon FACHE à la réalisation, avec lequel nous formons un très beau duo de complémentarités, et Dominique BLANC-FRANCARD au mixage, ce qui représente pour moi un rêve d’ado. Mais pour porter le projet, je reste seul. Vailloline Productions a certes en charge la communication, et je suis accompagné par les équipes des clips lors de leur sortie. Mais pour le disque, je n’ai personne avec qui partager les émotions, les enthousiasmes, les déceptions parfois. Et ça me manque beaucoup.
Et puis, même si c’est moins glamour, l’aspect financier joue aussi. J’ai mis à peu près dix ans d’économies dans ce projet. Et je n’ai pourtant rien à vendre : le disque est téléchargeable gratuitement sur Bandcamp, et les 500 CD que j’ai fait pressés sont essentiellement destinés à être donnés. Je ne pense pas pouvoir m’offrir la suite de l’album seul.
L’avenir que j’espère donc est celui qui sera partagé avec une équipe de production.
Z : Concernant la scène… Est-ce que des choses arrivent ?
J : J’en ai très envie. J’en rêve même. Mais si je devais monter à nouveau un projet scénique autour de mes chansons, ce serait là aussi avec un accompagnement. Je n’ai pas envie d’embarquer une équipe de musiciens pour faire cinq dates par an, et pour le moment je n’ai plus envie de faire de concerts en solo, comme je l’ai beaucoup fait. D’autant que je continue à faire pas mal de scène avec différents spectacles, et que je m’y épanouis. La scène autour de mes chansons, ça sera donc en étant soutenu et accompagné.
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