A l’occasion du 46ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, nous avons pu faire une interview via Zoom de la réalisatrice Nicole Riegel et l’actrice Jessica Barden piur parler du film Holler, qui est compétition lors du festival. Rencontre.
Nicole, j’ai lu que ce film est une adaptation de votre premier court métrage ?
Oui, ils ont gardés le même titre, mais les deux histoires sont finalement devenues très différentes.
Jessica, comment avez-vous connu de ce projet ?
Mon agent m’a envoyé le scénario et quand je l’ai lu, j’ai adoré et je voulais absolument jouer le personnage de Ruth et aussi pour faire partie de ce monde parce que ça semblait être un challenge à relever, rien qu’en lisant le scénario.
Ça semblait très physique, travailler dans une casse, mais aussi tenter de comprendre comment marchait cet endroit dans lequel je n’avais encore jamais été, ou encore travailler avec des personnes avec lesquelles je n’avais pas encore travailler avant.
J’ai rencontré Nicole, on a déjeuner ensemble et elle m’a dit : « ça va être le film le plus dur que tu as fait, je vais te pousser plus loin que n’importe quel réalisateur avec lequel tu as travaillé, tu vas devoir faire des choses qui vont te sembler dingue, tu ne seras pas dans une zone de confort. »
Je lui ait dit : « Ok, je veux faire ce film, je suis partante à 100%. »
J’ai donc passé une audition, ça s’est super bien passé, elle m’a demandé d’improviser et elle m’a fait des retours et des notes qui m’ont beaucoup servi et j’avais encore plus envie de travailler avec elle. Après l’audition, je savais que je devais jouer ce rôle, puisque je me reconnais en Ruth et dans son frère, Blaze aussi, je pouvais les voir dans ma ville en Angleterre, là où j’ai grandi.
Ce film se passe à l’autre bout de monde et je voulais absolument représenter ce type et cette classe de personnes. De plus, c’est définitivement un film unique en son genre, tout comme le scénario.
Je savais que ça allait être une très bonne expérience de travailler pour elle et j’ai eu le rôle, donc j’étais très heureuse.
Nicole, pourquoi avez-vous eu envie de devenir scénariste et réalisatrice ? J’ai lu que vous étiez précédemment dans l’armée ?
Oui, j’ai grandi à Jackson, dans l’Ohio, c’est la ville où nous avons tourné et qui est représenté dans le film. Je n’ai pas grandie dans une famille très pauvre, mais je n’avais pas accès au cinéma.
Et quand je suis entrée à la fac, j’ai découvert ces superbes réalisatrices que sont Andrea Arnold, Kelly Reichardt, les frères Dardenne, Agnès Varda, etc. et ça a changé ma vie et j’ai su que je voulais faire ça. Et aussi, je n’ai pas grandie en voyant à l’écran, des filles comme Ruth être représentée.
J’ai plutôt vu des films comme Dangereuse Alliance et Clueless, qui sont fun et très bien, mais ce sont des filles privilégiées dans des grandes villes et moi je suis juste une femme du sud de l’Ohio et c’était tellement loin de ma vie et c’est pour ça que j’ai voulu mettre en avant des filles comme Ruth sur grand écran.
Et c’est ça que je veux faire de ma vie, c’est faire des films qui sont des portraits de femmes et créer ce genre de rôles et voir les films que j’ai vu à la fac m’ont prouvés que je pouvais le faire, parce qu’ils y avaient déjà d’autres femmes qui réalisait et dans d’autres pays.
Je me suis engagée dans l’armée au même age que celui de Ruth dans le film, je voulais voyager, avoir des opportunités et aussi parce que les garçons de ma région s’engageaient, parce que c’était normal pour eux, contrairement aux femmes. Je voulais voir si je pouvais y arriver et j’ai réussi, mais ce fut très dur, ça m’a changée et ça aussi donné de la confiance en moi et de l’autonomie.
Puis pendant ce temps-là je découvrais tous ces réalisateurs / réalisatrices que j’aime qui viennent de pays différents et je voulais faire la même chose, mais ici, dans mon pays. J’ai donc quitté l’armée et pris des cours pour écrire et réaliser.
Je me demandais, comment Paul Feig est arrivé sur le projet en temps de producteur ? Parce qu’il est plutôt centré sur les comédies, pas ce genre de films indépendants américains.
Oui, Paul Feig blague sur le fait que je lui donne de l’avantage. (elle rit) Oui, nous sommes des cinéastes très différents, Paul est beaucoup plus drôle que moi.
Vous savez ça a duré 5 ans pour le produire et il y a 5 ans, les esprits concernant les réalisatrices n’étaient pas le même que maintenant. Et à part Jessica Barden, je n’avais pas beaucoup de personnes qui me soutenaient pour faire ce film. J’ai sentie que j’avais besoin de quelqu’un comme Paul pour aller chercher des financements, taper aux portes et avoir des personnes à Hollywood pour me prendre au sérieux.
Et Paul a réussi à ouvrir des portes pour moi et voilà comment il est devenu un des producteurs.
Jessica qu’est-ce qui vous a attiré dans ce scénario ? Vous m’avez dit toute à l’heure que vous vouliez ce rôle à tout prix. Pourquoi, parce que vous venez d’une petite ville ouvrière d’Angleterre, c’est ça ?
Oui, oui. Je viens, comme Nicole, d’une famille ouvrière et j’aime mon passé, ainsi que de là où je viens en Angleterre, j’adore ma classe sociale. Je trouve que ce sont des personnes merveilleuses et je trouve que nous sommes fascinants et qu’on méritent que des personnes écrivent sur nous et que des jeunes hommes et femmes peuvent se reconnaître dans des films.
Et que vous avez votre place sur l’écran, tout le monde veut ressentir ça.
En Angleterre, j’ai eu l’opportunité de jouer un rôle avec ma classe sociale, mais j’ai vu que ce qu’ils abordaient était très négatif et qu’il n’y avait presque jamais de fin heureuse. Alors que nous sommes tellement plus que ça.
Et c’est ce que je voulais faire avec un travail, un rôle, évidemment je ne le ferais pas tout le temps, parce que ça ne serait pas intéressant pour moi. Mais j’ai sentie que Nicole était la même personne que moi et j’ai eu la confirmation en lisant le scénario, puis en la rencontrant. Elle m’a permis de faire ce que je souhaitais, c’est à dire avoir un travail et un personnage qui montre toutes les dimensions de cette classe sociale et qui ne soit pas juste un histoire sur des abus sexuel, ou sur la pauvreté.
Simplement montrer cette vie et les personnes différentes qu’il y a, ainsi que leurs humeurs et leurs tristesses.
Et ne pas avoir juste une histoire qui est déprimante à chaque fois.
J’ai trouvé la fin très émouvante.
Jessica Barden : J’ai pleurée la première fois que j’ai vu le film. J’ai l’impression que Nicole a laissé cette fin d’une manière très ouverte, tu ne sais pas ce que Ruth va faire, ni où elle va, mais elle y va et c’est le plus important, parce qu’elle se rend qu’elle a le choix.
Pour moi, je pense que si ça m’a autant touchée à la fin, c’est parce que c’était un rappel pour moi-même et j’espère pour d’autres que vous avez le choix. Et c’est quelque chose que vous n’avez pas le temps d’apprendre si vous venez d’un endroit comme Ruth. Il n’y a pas le temps pour ça et personne ne vous le dit.
Ce que j’en retiens, c’est que Ruth peut prendre des décisions, vous avez cette vie et vous dites oui, ou non et c’est très important de savoir que vous avez le choix de dire oui ou non.
Jessica, serait-il juste de dire que vous êtes plus attirée par les films indépendants ? Parce que The End of the F***ing World me rappelle ce genre de films. Bien sûr c’est diffusé sur Netflix, mais je le trouve plus discret que des séries comme Game of Thrones par exemple.
J’ai été assez chanceuse d’avoir une carrière très ouverte. Je me sens très chanceuse de pouvoir faire cette expérience. J’ai reçu des scénarios et je me suis retrouvée sur ce projet parce que c’est là que je devais être, mais oui ce sont tous des projets indépendants.
The End of the F***ing World est un projet indépendant, à l’origine ce devait être un film indépendant, mais il voulait prolonger l’expérience.
Je trouve qu’il y a une liberté dans la manière de travailler d’une façon indépendante et je pense que ça va avec mon jeu en tant qu’actrice, comme si les personnes qui viennent de l’indépendant pouvait sentir cette énergie que j’ai. Et je considère ça comme un compliment très touchant.
D’ailleurs indépendant veut souvent dire que c’est quelqu’un qui essaye de faire quelque chose pour la première fois, ce qui va avec ce que j’aime et ce j’ai envie de faire.
De plus, que ce soit The End of the F***ing World ou Holler, quand j’ai eu le scénario, puis le rôle, je suis restée attachée au projet pendant longtemps, comme par exemple pour The End of the F***ing World où j’y suis restée du début à la fin ça m’a pris presque 10 ans de ma vie (5 ans avant qu’on tourne, puis presque 5 autres années après).
Et ce fut la même chose avec Nicole, puisque ça a mis 5 ans à se faire et je devais être impliquée deux ans ans avant qu’on tourne.
Je n’aime pas laisser tomber les gens et les choses. Si c’est quelque chose que j’ai envie de faire et qu’on veut toujours de moi, qu’importe la durée, je le fais. On peut retrouver cette ténacité et cette loyauté envers les gens dans le milieu indépendant. Je suis moi-même comme ça.
Et pour finir, quels sont vos futurs projets à toutes les deux ?
Nicole Riegel : Je suis en train de travailler sur mon deuxième actuellement, qui sera un nouveau portrait d’une femme américaine, mais je ne peux en dire plus.
Jessica Barden : J’ai un autre film qui doit sortir le 6 novembre, qui s’appelle Jungleland (avec Charlie Hunnam, Jack O’Connell, etc.) et j’ai hâte de pouvoir le montrer. C’est similaire à Holler, mais avec une histoire différente. Puis un autre film Netflix et une autre série, mais je ne peux pas non plus en dire plus.
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