Sur deux semaines de temps, nous avons été plus que chanceux puisque nous avons eu le privilège d’assister au show case d’Elisapie, puis de l’interviewer avant d’enfin assister à son concert donné en première partie de Pierre Lapointe à La salle Pleyel.
Mais à nouveau, pas question de garder tout ceci pour nous uniquement et c’est avec plaisir que l’on vous partage à la fois nos photos, nos vidéos et surtout notre interview.
Notre premier des trois rendez-vous avec cette chanteuse venue du Canada était fixé aux Bar à Bulles, la machine du Moulin Rouge. Dans un cadre vraiment magnifique.
Z : Bonjour Elisapie. Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouviez-vous vous présenter ?
E : Et bien, je suis une femme… Inuk ! Artiste, auteur compositeur, soit quelque chose à laquelle je tiens énormément. En effet je suis très fière d’écrire mes chansons. Je suis également cinéaste, même si aujourd’hui ma carrière musicale prend un peu le dessus ces dernières années. Quant à mon son, je propose essentiellement du Folk. Contrairement à l’amalgame qui veut que si l’on vient du nord on fait de la world musique, moi je revendique de faire du Folk. j’ai grandi avec ce style de musique et je me définis en tant que tel même si j’ai aussi navigué dans la pop par le passé.
Z : Vous chantez en anglais, français et Inuktitut, avez-vous une préférence particulière pour l’une de ces trois langues ?
E : Je pense avoir une multitude d’identité en moi et aujourd’hui je pourrais te dire anglais, comme demain préférer chanter en Inuktitut. Cela varie de mon humeur, mes envies. Puis, selon où je chante aussi. Evidemment chez moi l’Inuktitut est forcément plus naturel là où l’Anglais est plus adapté aux autres endroits du monde. Ensuite quand je prends ma guitare, l’anglais me vient naturellement du fait que c’est ce que j’ai écouté comme musique toute ma vie, le folk en anglais. Le français par contre c’est de temps en temps uniquement. Un peu comme un flirt. Cela est doux, procure du bien, mais il faut savoir saisir le moment. Ensuite j’ai aussi plus de difficultés à écrire en français et mon langage naturel dans l’écriture de texte est l’anglais, définitivement.
Z : The ballad of the runaway girl est votre quatrième album et pourtant le premier à arriver en France. Comment expliquez-vous ceci ?
E : C’est amusant, car au départ je voulais faire cet album là pour moi, pour me faire du bien et ce avec aucune autre intention derrière. En cela d’ailleurs, cet album me plait beaucoup parce qu’il n’y avait aucune pression ou de but autre que celui de me faire plaisir. Le résultat est que cet album est sans doute celui qui me correspond le plus finalement. Il y a eu des doutes évidemment… Mais pas de moi ! Et quand certaines personnes de mon entourage me disaient « Tu sais, je ne suis pas convaincu de… », je coupais court et je répondais naturellement « Je m’en fous, c’est ce qui me procure du bien et cet album est pour moi ». J’écoutais un peu les gens, mais pas sur son contenu puisque je me laissais guider par mes émotions. Là il a deux ans déjà, même s’il sort que maintenant finalement et aujourd’hui encore plus que jamais je suis convaincu de ces choix et du bien qu’il me procure. Quant à la sortie française, c’est la bonne oreille de Yotanka que cela est dû. Ils ont repéré quelque chose dans ces chansons et rapidement ils ont voulu les proposer à un maximum de monde. Il faut savoir que Yotanka est une petite équipe et cela m’a plu. De plus, ils sont venus à moi et n’ont pas cherché absolument l’approche commerciale, mais bien de mettre en avant l’artiste, les chansons et le côté « Inuit » aussi sans le gommer. Leur approche était sincère et voilà pourquoi j’ai eu envie de travailler avec eux.
Z : Au travers de votre art, qu’il soit visuels ou en chanson, quels sont les thèmes aujourd’hui qui vous inspire le plus ?
E : Le côté Humaniste. Aujourd’hui on parle beaucoup de politique et toutes ces choses fortes, mais je suis arrivé à une période de ma vie où je pense qu’il est nécessaire de rappeler aux gens ce qu’est une émotion. Il est important que l’humain se déconcentre à nouveau sur lui et apprenne à écouter son énergie, ses émotions. Il faut retrouver notre spiritualité. Au moment où je me suis mise à travailler, j’ai retrouvé cette force spirituelle en moi et cela ma donné la direction à suivre pour cet album. Un besoin de me centrer, d’écouter mes émotions et de les laisser s’exprimer surtout.
Z : Quel a été cet élément déclencheur qui a fait ressurgir ceci ?
E : J’étais à l’époque en pleine crise identitaire, je venais d’être maman, je vivais à Montreal depuis 18 ans et la nature, mes terres, mon peuple, tout ceci me manquait et j’ai finalement eu cette sensation d’étouffer. C’est là, à ce moment précis où ont commencé à arriver les chansons. Je ressentait comme des vertiges, cette sensation de peur d’avancer, comme si je ne me sentais plus bien là où j’étais. mes émotions étaient en ébullition. Ce processus a pris du temps, mais comme toute étape dans la vie et à la vue de ce résultat, je sais que je devais passer par là. Pour moi, ces chansons étaient nécessaires. Elles m’on aidées dans une période difficile. je les considère comme mes petites bouées me permettant de flotter.
Z : Concernant la chanson Runaway Girl… Que cherchez-vous à fuir ?
E : Créer cet album m’a justement permis de réaliser que effectivement j’avais besoin de fuir un univers qui m’étouffait. De manière plus générale, on cherche à fuir, toujours. L’humain essaye toujours de cacher des choses, de fuir parfois simplement des responsabilités, de se cacher de ses émotions justement. Un exemple concret, lorsque j’ai perdu mes parents, on me disait constamment « Et bien tu tiens bien le coup, tu es forte » et je répondais que « Oui, tout allait bien, que c’était la vie ». Mais avec le recul j’étais en train de fuir ma peine et la douleur. Plus tard tout est revenu et depuis j’essaye de ne plus fuir mes émotions, mais de les écouter et les accepter.
Z : Et en tant que mère, vous qui aujourd’hui êtes très terre à terre, pour qui les terres sont importantes etc… Comment trouver-vous l’équilibre sur l’éducation de vos enfants alors qu’en face vous avez finalement un métier qui peut-être très superficiel.
E : Mon approche est… De rester réelle avant tout. Mais concernant l’éducation, je vois par exemple une différence entra la mienne et celle en france. Mon compagnon est français et parfois je vois que nos point de vues sont différents du à notre éducation personnelle. Dans le fond, je n’ai pas vraiment de secret, juste celui d’être réelle et de faire en sorte qu’ils comprennent que mes bobos personnels m’appartiennent et qu’ils ne doivent pas être affectés par ceux-ci. Personnellement mes peines ont été transmises de générations en génération depuis longtemps. Entre la colonisation, les difficultés de ma famille etc… Et moi j’ai envie de dire stop ! Je ne souhaite pas continuer à transmettre ces vieilles peines à mes enfants, mais bien que ceux-ci se créent leurs propres bobos et si possible les plus légers possibles sans se soucier de ceux des générations passées. Après, j’admets qu’au départ j’avais peur de les voir grandir dans le côté superficiel de ma vie parfois, mais j’ai rapidement compris qu’en restant naturelle et honnête avec eux… Alors ils distinguent parfaitement bien ce qui est superficiel et réel.
Z : Vos enfants s’intéressent-ils malgré tout à votre vie et celle de vos ancêtres ?
E : Ma fille, qui a 12 ans maintenant, commence à me poser des questions sur mon enfance et un jour elle m’a dit être fière de moi, d’avoir vécu des choses difficiles et d’être parvenue à aller de l’avant. Ce moment était si fort pour moi quand ma file m’a dit ces mots? Cela reste un moment fort dans ma vie.
Z : Et votre musique, est-ce qu’ils aiment aussi votre musique ou finalement ils ont l’âge d’écouter autre chose ?
E : Ma fille est une véritable fan et veut tout savoir. Elle regarde sur les réseaux sociaux ce qui se dit, regarde si l’on ne dit pas de mal de ma musique etc. Elle s’investit beaucoup là dedans. Elle est très fière de mon travail. L’autre fois elle a vue mon spectacle complètement en tant que spectatrice et les retours étaient qu’elle était à fond dedans à crier, chanter, m’encourager. Elle apprécie vraiment mon travail. je pense aussi qu’elle a saisi l’importance de cet opus ci et ce qu’il représentait pour moi.
Z : Concernant la couleur de l’album, on retrouve essentiellement de véritables instruments et peu d’électronique. Pourquoi ce choix ?
E : Au départ j’avais cette envie d’un album très très minimaliste. Puis en avançant dans la conception, ce que l’on a minimisé, c’est le fait de se perdre. Par exemple, on a tout enregistré ensemble dans une pièce et pas chacun de son côté et d’ensuite utiliser les machines pour recoller les morceaux. On ne voulait pas tricher. Enfin, j’ai ajouté quelques petites notes électro, mais très légères juste pour surprendre un peu les auditeurs… De les déstabiliser un peu, comme un voyage dans l’inconnu.
Z : Le marché de la musique est compliqué en ce moment. Comment expliquez-vous que les gens donnent moins de valeurs à la musique qu’avant ?
E : Le choix ! C’est paradoxale, car le choix est une bonne chose et permet de découvrir beaucoup de nouvelles sonorités, de nouveaux artistes etc, et en même temps ce trop plein de choix fait que l’on ne s’attarde plus sur certains artistes, on ne prend plus le temps de vivre avec un artiste, de vivre avec un album. On va rapidement changer, car il y a le choix. On a ouvert quelque chose et on ne sait pas vraiment le contrôler… Après même si les gens cherchent le gratuit et la consommation rapide, il en reste qui comme moi aime aller acheter les cd, les vinyles, qui apprécie le travail et l’objet. En fait je n’ai pas vraiment de réponse définitive au problème et c’est difficile puisque de par mon métier, je dois aussi tenir compte de ça pour faire écouter ma musique. Il serait temps de trouver des méthodes intelligentes pour que l’on retrouve cet amour de la musique.
Z : Dernière question déjà. Avez-vous des projets à venir ?
E : j’ai un documentaire en préparation sur l’identité des femmes de ma région, un film d’animation proche d’un conte pour lequel je collabore avec le peintre Marc Séguin. Puis d’autres choses à venir sur les cinq prochaines années aussi, mais dont je ne préfère pas encore dévoiler. Et un autre album évidement. Et au milieu de tout ça… Vivre pour à nouveau m’inspirer et créer.
Suite à cette interview, nous avons été convié à venir la découvrir plus longuement au concert de Pierre Lapointe à La salle Pleyel où Elisapie assurait la première partie.
Proposant un set plus long et encore plus émouvant, notamment en parlant du titre Una, laissant la salle sans voix, Elisapie n’a pas tardé à mettre le public dans sa poche, offrant de nombreuses émotions au public avant de s’en aller en toute simplicité sous de longs applaudissements. Elisapie a ainsi proposé une première partie de qualité.
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