Rencontre avec Anthony Schatteman, réalisateur de Young Hearts

C’est à l’occasion de la sortie de son superbe film Young Hearts que j’ai eu la chance de rencontrer le réalisateur Anthony Schatteman le temps d’une interview.

Voici cette dernière.

Z : Vous avez déclaré dans diverses interviews que vous aviez envie de réaliser ce film parce que, d’après vous, aucun film n’aborde réellement le sujet de l’homosexualité pour les jeunes en tenant compte de leur tranche d’âge. Il s’agit souvent plus de sexe que de découverte, d’émotion…

A : En effet

Z : Selon vous, pourquoi est-ce que ce que vous proposez avec Young Hearts se fait rare ?

A : Aujourd’hui, les jeunes disposent de nombreuses possibilités pour se définir et il est important de leur présenter des éléments qui les touchent directement. « Quel film serait approprié à un enfant, quand on se sent peut-être différent des autres ? » Je n’ai pas vraiment trouvé de réponse. En 2012, j’ai réalisé un court-métrage abordant à peu près la même thématique qui a connu un grand succès sur Youtube. Ce dernier a démontré que le public adolescent s’identifiait bien au contenu, soulignant qu’il n’était pas indispensable d’aller plus loin que simplement évoquer les sentiments émergents. J’ai reçu de nombreux retours de la part des jeunes qui ont exprimé : « Merci de proposer un film épuré où, pour une fois, il ne s’agit pas de la mort, du sida, de parents homophobes, etc.» Les ados étaient heureux de se retrouver dans mon court métrage.

Z : C’est une bonne chose.

A : J’ai aussi dans mon entourage un de mes amis dont le garçon de 9 ans m’a dit : « Je pense que dans ma classe, j’aime un garçon. » Est-ce que tu as un film que je peux voir avec maman pour comprendre ? Et là, j’ai cherché et je me suis dit que je ne pouvais pas proposer un film comme Call Me By Your Name, Brokeback Mountain ou les autres classiques à un enfant de 9 ans parce que la notion de sexualité est mise en avant alors qu’à 9 ans ou même un peu après, ce n’est pas ce qui nous préoccupe.

Z : Et les séries ?

A : Maintenant, on a Heartstopper, Love Simon… Mais dès les premiers épisodes, cela parle de blowjobs, de tomber enceinte, etc. On touche déjà un public plus adulte.

Z : En effet.

A : Et je voulais pas ça, je voulais vraiment voir un film qui était très innocent. Et c’est pour ça que j’ai fait Young hearts.

Z : On parle beaucoup d’éduquer les enfants à la sexualité dès les premiers pas à l’école. Pour vous, quel est l’âge à partir duquel on peut montrer Young hearts ou d’autres films parlant de sexualité ?

A : Mon frère a une petite fille de quatre ans qui est dans une classe où il y a des familles avec deux mères, deux pères, etc. C’est aujourd’hui un fait tangible. Ainsi, on peut aborder le sujet des sentiments assez tôt. Il suffit de ne pas aborder le sujet de la sexualité directement. Il est également essentiel, à l’école, de projeter des films aux enfants présentant des couples  homoparentaux pour normaliser la situation. Si on persiste à ne présenter que des films de familles hétérosexuelles, peut-être que les choses ne bougeront jamais.

Z : Discutons du cinéma et de la controverse selon laquelle, de nos jours, seuls les homosexuels devraient interpréter des rôles homosexuels… Pensez-vous qu’un acteur puisse jouer tous les rôles, ou bien adhérez-vous à cette tendance qui soutient : c’est effectivement vrai qu’ils saisissent mieux les personnages ?

A : Il est important de respecter le personnage que tu es censé interpréter, mais je suis convaincu qu’en tant qu’acteur, tu peux te glisser dans la peau de n’importe quel rôle. On dit également que Brokeback Mountain devrait être cancelé, car Ang Lee et les deux acteurs ne sont pas homosexuels… Je trouve cela ridicule. En ce qui concerne Young hearts, je n’ai jamais posé la question à mes deux interprètes s’ils étaient attirés par les garçons ou non ; ils ont pris connaissance du script, se sont approprié les rôles et c’est tout. Que les garçons leur plaisent ou non, cela n’a pas d’importance ; ils ont réalisé de remarquables prestations d’acteurs, et c’est précisément ce que nous attendons en tant que réalisateurs.

Z : Est-ce que Lou et Marius avaient des appréhensions concernant le film ou ont-ils directement sauté dans l’histoire ?

A : Ils ressentaient une certaine crainte car ils étaient étrangers à l’amour. C’était une expérience qu’ils n’avaient jamais véritablement rencontrée dans leur existence. Ils m’ont donc posé des questions sur ce que cela signifie d’aimer quelqu’un, sur le fait de tomber amoureux. Nous avons donc constamment abordé et discuté en termes d’émotion, rien de plus. Qu’est-ce qui te procure de la joie ? Qu’est-ce qui te chagrine ? Qu’est-ce qui t’énerve ? Par la suite, sur le plateau, nous avions Oliver Wools, psychologue et thérapeute pour enfants, avec qui les acteurs avaient la possibilité d’échanger et de voir ce que nous étions capables ou non de réaliser.

Z : C’est important en effet.

A : Un jour, Lou, qui incarne Elias, a déclaré : « Ah, moi aussi, j’ai une histoire car j’ai peur de perdre mon frère. L’année prochaine, il part pour l’université et peut-être que je perdrai mon meilleur ami à cause de son départ… » Et cela nous a permis de démontrer qu’il était possible d’éprouver les mêmes sentiments dans des contextes totalement différents. Encore une fois, les émotions ont été centrales dans l’élaboration et la mise en image du film.

A : Aujourd’hui, il est souvent questionné sur sa sexualité par les gens, les journalistes, etc. Comme si c’était important. Mais Lou est très intelligent et répond simplement : « Ce n’est pas ton business ! »

Z : C’est une des grandes forces du film : on ressent les sentiments des personnages sans pour autant penser à la sexualité.

A : C’est tout ce que l’on a cherché à faire, donc merci.

Z : Je souhaitais aussi aborder le sujet de « la langue ». Vous êtes belge, parlez le néerlandais et le film est dans votre langue maternelle. N’est-ce pas une entrave pour le marché international, et spécialement en France, de ne pas proposer un film en version française ou anglaise ?

A : Je n’ai jamais envisagé de réaliser le film dans une autre langue que celle qui m’est naturelle. C’est un sujet qui me concerne également, c’est mon histoire aussi, et pour être le plus fidèle possible, j’avais l’obligation de m’exprimer dans ma langue. Je crois que si je l’avais réalisé en anglais, ça n’aurait pas fait un bon film. Je ne crois pas être préparé pour ça. Il pourrait y avoir un décalage. Peu importe la langue, un bon film aura du succès. Ensuite, dans certaines régions, un doublage est envisagé. Pas en France où regarder des films en version originale est courant. Encore une fois, c’était mon récit, donc il était essentiel de le faire en flamand également.

Z : Il existe une scène d’une beauté exceptionnelle qui pourrait résonner davantage auprès des Belges. C’est l’extrait qui contient la chanson « J’aime la vie » de Sandra Kim. La version émotionnellement riche, présentée dans le film, était-elle déjà existante ou est-ce une de vos créations ?

A : C’est moi qui ai conçu cette version. Mon père était chanteur, donc la musique a constamment fait partie de mon existence. Et j’ai réfléchi : « Quelle musique pourrais-je choisir ? » Parce que je souhaitais vraiment inclure un morceau très populaire et typiquement belge. Et dans mon esprit, ce n’était pas vraiment « J’aime la vie », vu que c’est tout de même très dynamique. J’ai d’abord pensé, entre autres, à « Sensualité » d’Axelle Red, par exemple.

Z: Pas mal aussi.

A : Puis un jour, j’ai essayé « J’aime la vie » sur  rythme lent et… L’illumination était là. Le contenu, la manière de l’interpréter, l’émotion transmise… C’était bien cette chanson ! Par la suite, nous avons eu une conversation avec la diva qui apparaît dans le film et qui est régulièrement vue dans les cabarets. Je lui précise donc qu’elle devra interpréter « J’aime la vie » et elle me répond… Oh non, je déteste cette chanson !

Z : Embêtant !

A : Effectivement, je l’ai interprétée au piano et chantée pour elle. Bien qu’elle ait initialement trouvé cela ardu à cause des notes élevées, elle a essayé et a immédiatement ressenti les émotions dans ma réinterprétation. Initialement, très peu de personnes ont véritablement compris mes intentions derrière cette scène. Il y en a qui ont éprouvé des difficultés à comprendre. C’est le cas parfois avec le cinéma, mais quand on comprend ma direction, quand on saisit l’effet miroir voulu dans cette scène… Qu’on écoute le texte…

Z : Concernant vos prochains projets, allez-vous à nouveau tourner avec des jeunes ou avez-vous envie d’autres choses ?

A : Actuellement, je suis en train d’écrire. Je ne suis pas sûr que ce que je rédige actuellement sera mon deuxième long-métrage, car j’ai également reçu des appels de studios… Je suis fier que certains à Hollywood me connaissent, mais ça fait aussi un peu peur. On sait que là-bas, on a peu d’emprise, et je ne suis pas sûr de vouloir renoncer à ma liberté dès le deuxième film. Et par ailleurs, le scénario qui m’a été proposé est vraiment magnifique, donc…

A : J’ai réalisé quelques épisodes de séries télé pour Lions Gate avant mon film et j’ai rapidement vu que… tu ne décides de rien ou presque. Tu es un exécuteur et pas tant un créateur.

Z :Et vos deux comédiens, ont-is des projets ?

A : Oui, ils sont très sollicités depuis Young hearts. Ils ont impressionné le métier et ils ont de jolis projets.

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