C’est avec un immense plaisir que nous avons eu la chance d’interviewer Céline Bonnier. Cette actrice canadienne que l’on retrouvera prochainement dans La Passion d’Augustine, l’excellent long-métrage réalisé par Léa Pool, dont la sortie française est fixée au 20 mars 2016.
Et c’est en toute simplicité autour d’un thé, que Céline Bonnier a accepté de répondre à nos questions sur le film mais aussi sur sa carrière et sur son amour de la musique.
Les jeunes filles dans le film ont été choisies au conservatoire de musique, qu’est-ce que vous avez pensé de leurs prestations en tant qu’actrices ?
« J’étais très impressionnée, c’est des filles qui n’avaient jamais jouées au cinéma, et puis c’est de grandes musiciennes, il y a une chanteuse là-dedans et deux pianistes. J’étais très impressionnées de leurs performances, elles étaient bien et à l’aise sur le plateau, franchement, c’est une expérience formidable et une rencontre formidable. »
Quel aspect du film vous a intéressé et en quelque sorte poussé à jouer ce rôle ?
« Je trouvais ce film là important et touchant parce que cela touche une histoire du Quebec qui est très cruciale parce que ça a été un changement d’une garde très religieuse vers la fin des années 60, donc à travers le monde il y a eu une espèce de révolution, de changement très important. En fait on a laissé un petit peu de côté le dogme de la religion et c’est raconté de façon très respectueuse, ces femmes là ont quand même éduqué le Quebec et nous ont éduquées longtemps et elles ont pris la place des mères, d’autant que beaucoup d’entre nous étaient des grosses familles, moi j’étais dans une famille de huit enfants donc c’est vraiment les dernières grosses familles, ces femmes ont remplacé nos mères, elles nous ont éduqué et on a beaucoup touché ce sujet là de façon très dure, pour relever les retards, les mauvaises lignées de ces gens là, mais il y avait aussi du bon, il y avait aussi des femmes très intéressantes, passionnées et aimantes. »Le film est très positif.
« Le film est très positif et respectueux, il y a une douceur énergique, je trouve, parce que c’est des femmes qui avaient de l’énergie, qui prenaient en main leurs destins, il y avait des féministes là-dedans aussi, qui se retrouvaient dans ces groupes là, qui avaient une parole et une pensée très articulée et qui n’avaient pas peur du changement qui s’en venait. Augustine, s’en est une qui n’avait pas peur du changement et qui a su s’adapter à ces réformes là et qui a su se choisir elle-même, ça rend hommage aussi au libre arbitre qui est une pensée qui vient de loin, mais qui est moderne quand même. Donc ça rend l’homme au libre arbitre, mais aussi à la force d’une communauté, quel qu’elle soit, ici c’est une communauté religieuse, mais moi , comme je répète, j’ai une grosse famille, donc je connais ça, la force de la communauté qui donne place à chaque individu. Parce que dans le film on voit aussi les religieuses, il y en a une qui a peur des changements, qui est plus stricte et l’autre la cuisinière a plus de caractère, il y a une passionnée qui aime la musique, il y a vraiment des individus très typés avec lesquels on évolue et c’est un film très touchant et en même temps qui est drôle et léger, très bien oxygéné par le rythme, c’est pas un film qui est efficace comme on peut connaitre, c’est un film qui a un rythme féminin, qui prend le temps d’installer les choses et d’embarquer dans le changement. »
Vous avez joué le rôle de Mère Augustine, avez-vous fait des recherches sur ce rôle ?
« J’ai étudié dans un couvent au secondaire où on enseignait le piano aussi, j’étais très imprégnée de ce milieu là. J’ai étudié en musique aussi. Je suis née d’une famille de musique, le piano jouait tout le temps, là où j’allais au convent à l’heure du midi les pianos jouaient tous en même temps, le craquement du plancher, je connaissais vraiment bien ça. Mes frères et sœurs aussi sont empreint de ça, je suis la plus jeune de la famille et tout le monde est passé par soit le collège ou couvent. Donc ma recherche a été une recherche plus intérieure de mon passé proche. »
Comment vous êtes-vous retrouvée au casting de ce film ? Est-ce que Léa Pool vous a contacté directement ou vous avez entendu parler du scénario et vous avez alors passé le casting ?
« Non, je n’ai pas passé le casting. Au Quebec on me connaît assez bien donc non, on me l’a proposé. Et tout de suite c’est une histoire qui m’intéressait, parce qu’on voit vraiment la force de cette religieuse là, parce qu’on tient à fermer le couvent et elle va se battre pour le garder, pas nécessairement parce que la religion est une chose supérieure à son avis, mais pour la musique, parce qu’elle élève les hommes, parce qu’elle apprend l’empathie, l’instinct et l’équilibre entre la rigueur et l’éloquence de notre arrogance à chacun. Ça prend de l’arrogance pour avoir un talent musical, j’ai fait de la musique et il faut rencontrer cette arrogance là qui vient de l’instinct et d’un choix de personnalité dans la musique. Augustine déploie beaucoup d’énergie pour soutenir ça, pour sauver l’enseignement de la musique dans ce couvent là. Et cela ma beaucoup interpellée. C’est une grande chose que justement à une époque où l’on est encré entre nous, de couper beaucoup les cours de musique au primaire ou au secondaire, les cours de théâtre, d’art dramatique pour des questions d’économies, pour de mauvaises questions. Donc je trouve que cela rafraîchit la pensée et la met au point, c’est important. C’est un film est drôle et touchant à la fois, les gens pleurent et rient. Ce film est sorti aux états-unis aussi, et moi j’étais là, à New-York à une représentation de 1 000 personnes, c’est les mêmes réactions qu’au Quebec donc il y a quelque chose d’international au niveau de l’émotion. C’est très musical comme film. »
Quelle est votre scène préférée dans le film ? Celle qui vous a la plus touché ?
« Celle qui m’a la plus surprise parce que quand on l’a fait ça avait l’air plutôt technique, mais beaucoup de gens nous parle de cette scène là, où les femmes se dévoilent et abandonnent leurs vêtements, le costume noir, la robe, la toge pour aller vers la modernité. C’est comme de la peinture, c’est très touchant, sans mots. On voit défiler les vêtements qui tombent par terre sur le plancher, l’émotion que ça fait, comme si ont leurs arrachais la peau pour certaines, d’autres acceptent le changement. Mais c’est vraiment comme un moment charnière du film et aussi d’une époque. C’est très large, très précis en même temps donc très fort. «
La musique est le thème principal du film, est-ce que vous jouez d’un autre instrument que le piano ?
« J’ai étudié en musique la flûte traversière, mon instrument secondaire était la contrebasse, mais chez nous il y avait toujours un piano. J’ai touché beaucoup d’instruments, le violoncelle, la guitare, l’accordéon. «
Vous avez une grande carrière derrière vous aussi bien au théâtre qu’au cinéma ou à la télé, est-ce que vous avez toujours voulu être dans ce monde là ?
« Oui, petite j’ai voulu faire ça parce que j’avais des frères qui faisaient du théâtre, professionnellement, j’allais les voir et ça m’a toujours fascinée. Un moment donné je me suis dirigée vers la musique parce qu’il y avait aussi des musiciens chez nous, des fois on suit les traces de nos grands frères et j’ai oublié que je voulais faire du théâtre. Et c’est un professeur à 16/17 ans, qui m’a vu dans un extrait de pièce et il m’a dit « La il faut que vous fassiez vos auditions au conservatoire d’art dramatique » et je me suis dit « ah oui c’est vrai j’avais oublié. » puis je suis allée faire les auditions, je suis rentrée au conservatoire et j’y suis sortie à 21 ans, très jeune. Donc très jeune j’ai commencé à travailler, j’ai fait beaucoup de théâtre parce qu’au Quebec on fait beaucoup de théâtre, de création et j’ai travaillé avec Robert Lepage entre autre, qui est un créateur très important au Quebec et dans le monde. J’ai expérimenté beaucoup de choses avec lui. Puis j’ai toujours beaucoup travaillé du fait probablement de ma passion et que j’adore travailler donc je ne me suis jamais arrêtée. »
Le métier de rêve lorsque vous étiez petite ?
« Le théâtre. Et après avoir étudié le théâtre je me souviens avoir dit à un journaliste « Je veux faire du cinéma », ça avait l’air très prétentieux, mais je suis plus naïve que prétentieuse. Mais ma naïveté m’a amenée là où je suis, je ne me suis jamais posée de questions, je n’ai jamais vraiment douté. Je suis faite pour faire ça, je voulais faire ça, j’aime ça. »
Vous tournez entre 1 et 3 film ou série par an, comment faites-vous vos choix cinématographiques ?
« On choisi soit les gens avec qui on travaille, c’est-à-dire si tu as envie de découvrir un univers. Naturellement les textes et les personnages sont une condition au bonheur aussi, mais c’est s’il y a un défi, si je vais apprendre autre chose sur moi ou sur la relation que je vais avoir avec la personne, du fait de travailler dans un univers que je ne connais pas. »
Quel est le film préféré dans lequel vous avez tourné, celui qui vous a beaucoup apporté ?
« Augustine s’en est un. Vraiment. C’est un moment crucial de ma vie parce que dans le film il est question de la mort de la mère d’Alice, ma mère s’en allait aussi à cette époque la donc ça a été un film charnière. Le film raconte aussi la fin d’une époque, la fin de ses grosses familles là c’est vraiment ce que je vis aussi en même temps, c’est la fin d’une époque étant donné que mes parents partaient, ils sont partis aussi pendant ce film là. Ça a été un rôle aussi très important parce que j’ai fait beaucoup de rôles de femmes entre guillemets « Rock’N’Roll » quand j’ai commencé, il y avait de la misère, elles se battaient… la drogue, la prostitution, j’ai beaucoup fait ça. Et là tout d’un coup on me demande de faire un personnage de religieuse, mais passionnée. Mais c’est quand même assez sobre comme jeu. Ça m’a vraiment beaucoup plu. J’ai vraiment appris dans cette sobriété là que Léa nous demandais de porter, qui est aussi une force en fait. Le silence, le fait de ne pas toujours exploser. Le silence, ce sont des choses importantes et instructives. J’aime aussi les univers déjantés avec Marc André Forcier, j’ai fait 5 films avec lui. Et il y a des expériences de théâtres qui m’ont vraiment marquées qui ont fait beaucoup avancer la comédienne que je suis. «
Avec quel réalisateur aimeriez-vous tourner ?
« Hypothétiquement, mais ça n’arrivera jamais, c’est des réalisateurs comme Wes Anderson, Les Frères Coen ou Les frères Dardenne. Et je jouerais avec Isabelle Huppert, le fantasme de ma vie. Je trouve que cette femme est brillante, je ne sais pas quel sorte de cerveau elle a, mais je l’ai vu deux fois au théâtre et plusieurs fois dans ses films et justement je trouve qu’elle fait de la musique classique, vraiment de haut niveau, c’est une athlète de haut niveau. Vincent Cassel aussi, il y a des gens qui sont vraiment excellents. Mais je serais toujours fidèle à Marc André Forcier. «
Votre film préféré ?
« Je suis très habitée par l’univers de Lynch. En tant qu’artiste, il va dans tous les sens, je suis assez jalouse de ce qu’il fait, photographie, peinture, musique et je suis fascinée par tout ça. Quelque soit son âge.. Il n’y a pas d’âge, il n’y a pas de frontières, il repousse le plus loin possible et ça m’inspire. J’adore aussi Peter Greenaway, sa poésie et je suis fascinée par la musique aussi de Michael Nyman dedans. Les films très originaux, très poétiques.. Il y a un autre Anderson, Roy Andersson, qui a fait Chansons du deuxième étage, qui est très pictural et poétique. Tati est un génie aussi. Playtime est un de mes meilleurs films. »Une rencontre inoubliable ?
Il y en a plusieurs. J’ai eu des rencontres inoubliables dans des musées, avec des peintres, avec des artistes contemporains, avec des œuvres donc avec la musique aussi, ce sont des rencontres inoubliables parce qu’elles changent l’être humain et renforce l’empathie.
Retrouvez la critique du prochain film ou elle interprète donc le rôle de Mère Augustine : La passion d’Augustine.
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