The Innocents, qui a reçu le Grand Prix à l’Etrange Festival et également deux récompenses (celle de la critique et celle du public) au festival de Gérardmer, sortira dans les salles le 9 février prochain et nous avons eu la chance de rencontrer son réalisateur Eskil Vogt pour une petite table ronde. On vous laisse découvrir notre compte rendu de cet échange.
Vous avez obtenu un diplôme à la Femis en 2004 et vous y avez projeté récemment votre film The Innocents suivi d’un débat. Comment cela s’est-il passé ?
Je n’étais pas revenu depuis ma sortie alors c’était surtout des souvenirs qui me revenaient. C’est tellement une période forte, le temps qu’on passe dans une école de cinéma, les rencontres, des films, c’est très complexe, c’est très riche. J’ai reconnu aussi des visages que je connaissais, les lieux n’ont pas changé beaucoup. C’était très fort et les étudiants ont eu l’air d’apprécier le film. C’était très touchant.
Dans votre premier film, Blind, vous abordiez la cécité, et ici (dans The Innocents) on a un personnage autiste. Est-ce important pour vous d’aborder ce type de personnage qui ont une particularité ?
Je ne cherche pas ce genre de personnage mais c’est vrai que ça me vient, ce sont des choses qui m’intéressent. Je crois que ce qui m’intéresse souvent dans des films ou dans des personnages c’est qu’il a, comment dire, un égard, une différence entre l’apparence du personnage et ce qu’ils sont. On a très souvent des préjugés sur les gens. Donc une femme qui a perdu la vue, on se dit « la pauvre victime » ou quelqu’un qui a un autisme sévère c’est très facile de se dire que c’est un handicapé mental qui n’a pas la capacité de certaines choses. Et puis on découvre ce que les personnages ont à l’intérieur. Et ça n’a rien avoir avec ce qu’on voit de l’extérieur. Je trouve ça hyper intéressant. Dans le cinéma souvent c’est l’apparence et les actes, les actions, qui définissent un personnage. Moi je trouve que c’est aussi leur pensée, leur imagination, leur rêve parfois de ne pas agir et les raisons pour lesquelles ils ne réagissent pas qui est aussi intéressant que de voir ces héros américains qui savent toujours quoi faire et qui ont des actions très fortes. Moi j’ai envie d’entrer dedans et je trouve toujours que de changer de perception d’un personnage c’est très gratifiant pour un spectateur. Et c’est beaucoup plus vrai que ce qu’on voit dans les films.
Il y a cette idée qu’il faut avoir un moment où on se comprend et puis on devient une autre personne. Je crois que ça arrive très rarement dans la vie que les gens changent complètement même si à un moment ils ont une révélation, c’est difficile de changer et on change un peu moins que ce qu’on aurait voulu. Mais dans le cinéma il y a cette fiction qui fait changer complètement pour avoir un arc, un trajet pour le personnage. Donc je trouve, au lieu de faire ça on peut changer de perspective sur le personnage. Il reste un peu près le même et nous en tant que spectateur on découvre tout ce qu’il a à l’intérieur de ce personnage. C’est peut être une des choses qui m’intéresse dans ces personnages là et aussi les autres. J’ai créé un adolescent très introverti dans un film que j’ai écrit avec Joaquim Trier et d’un coup on regarde toutes ses crises, toutes ses pensées et après ça on ne peut pas le voir de la même manière. Donc au début on le voit de l’extérieur avec son père qui s’inquiète et puis on voit avec son frère tout ce qu’il a écrit et d’un coup c’est un autre personnage pour nous. Mais lui, il a toujours été comme ça.
On sent du coup des personnages mouvant dans votre film, et du côté des genres, il y en a une multiplicité comme le drame, le fantastique pur, voir le film d’horreur. C’était une volonté vraiment de ne pas rester catégorisé à un seul genre ?
C’est un peu le luxe de créer quelque chose. Moi je suis mes impulsions et c’est le soucis du distributeur de dire comment le vendre et dans quelle case, quel genre il faut le mettre pour qu’il fonctionne. Parce que moi-même j’ai envie de savoir ce que c’est avant d’acheter un billet. Mais moi quand j’écris quelque chose, j’essaye juste d’être honnête. Je suis mes goûts en fait. Qu’est-ce qui m’intéresse. Et moi j’adore les films de genre, j’adore le film fantastique, les films d’horreur. Mais je m’intéresse beaucoup aux personnages, au drame, des choses intimes. C’est un film sur l’enfance donc il faut faire des choses qui ne font pas forcément peur mais qui évoquent l’enfance. Et je me suis dit en l’écrivant que peut être il y a trop de drame pour que ce soit perçu comme un film d’horreur pur quand on se concentre sur l’histoire entre les deux sœurs où l’ainé est autiste donc la plus jeune est un peu ignorée par ses parents. Mais si ça m’intéresse il y aura d’autres gens aussi que ça intéressera, le mélange des deux. Et puis après quand il y a des gens qui disent que c’est un film d’horreur, moi je trouve que c’est un compliment. Je voulais que ça fasse peur alors ça ne me gêne pas du tout. Mais je voulais juste faire un film que je trouve intéressant que j’aurais voulu voir au cinéma moi-même.
Il me semble que vous êtes fan un peu de manga. Et on sent dans la trajectoire du jeune garçon un peu la trajectoire de Tetsuo dans Akira. Je suppose que c’est une influence personnelle que vous avez voulu retranscrire.
Oui en fait Katsuhiro Ōtomo, qui est le créateur d’Akira, a fait un manga avant qui est vraiment la sorte d’instauration principale, la référence pour ce film. C’est pas du tout la même histoire mais on peut reconnaitre que j’ai fait des petits hommages. Donc c’est vrai, Tetsuo est un peu ce personnage même si je n’y avais pas pensé directement.
Est-ce qu’à l’âge de vos personnages, vous auriez imaginé vivre une telle aventure ? Obtenir des pouvoirs et les utiliser d’une certaine manière.
J’ignore quel âge j’avais, mais je me souviens de mettre un verre sur une table et de me concentrer à essayer de le bouger avec les pouvoirs mentaux et bien sûr ça ne bougeait pas ou peut être un petit peu (rire). Mais en faisant ce film je me suis demandé pourquoi j’avais fait ça et je me suis posé la question pourquoi enfant on n’a pas vraiment de pouvoirs. Parce que ce sont les parents qui décident quand vous mangez quand il faut aller dormir. Il y a toujours des limites imposées par les autres. On n’a pas moyen de manifester sa volonté dans le moment. Donc je pense qu’on a ce rêve d’avoir un pouvoir lorsqu’on est enfant. Et donc c’est peut être plus ça qui inspire le film. On est très impuissant quand on est enfant.
On sent qu’on parle aussi beaucoup des difficultés de la parentalité dans le film. Vous qui êtes parent, vous avez fait votre propre introspection à travers ces rôles des parents ?
Oui, en écrivant les parents j’avais une contrainte qu’il fallait qu’ils fassent des choses que j’aurai pu faire. Leur manière d’ignorer un peu les enfants, de s’en moquer, de ne pas les croire. Il y a des manières d’être là sans être là. Même la mère la moins sympathique, elle fait des gestes que je n’aurai jamais pu faire mais sa manière de s’agacer quand tu dois poser la même question à ton enfant dix fois et qu’il ne répond pas, au bout d’un moment tu pètes un peu les plombs. Tu essayes de le maitriser. Cependant j’ai voulu vraiment rester du côté des enfants et donc m’observer avec leurs yeux en essayant de faire une sorte d’introspection de manière qu’on se souvienne de comment vivent les enfants. Par exemple le fait que ils veulent sortir le soir, il est déjà 21h donc c’est déjà tard, je me dis en tant que parent qu’ils sont fous. Et donc on ferme la porte. Dans le film je voulais montrer une scène comme ça où en tant que spectateur on se dit « mais il faut qu’ils sortent parce que c’est important ». Et voilà, d’un coup on comprend que l’appartement c’est aussi une prison, comment les parents ne veulent pas que tu sortes, tu restes chez toi. Donc c’était de faire cette introspection mais de rester tout le temps avec les enfants. On est tout le temps avec eux et les parents sont injustes par négligence, parce que c’est difficile aussi d’être parent.
D’ailleurs quels échanges avez-vous eu avec les jeunes acteurs pour aborder les scènes difficiles ? Comme …
On n’avait très peur de ce genre de chose. Je voulais toujours être honnête et tout raconter mais en même temps ce sont des enfants. Donc au bout de deux minutes ils n’écoutent plus.
La petite fille dont on parle elle avait 7 ans. Je lui ai dit le trajet de son personnage et je lui ai dit que le sien allait être tuer dans le film. Mais elle n’a pas pensé à demander comment. Le jour du tournage de cette scène, il y a eu une certaine préparation. Les stuntman (cascadeurs) qui arrivent, l’actrice qui joue la mère et puis on a des faux couteaux qui étaient posés sur une table. Elle en a pris un et elle a dit « aaaah c’est comme ça que je meurs !!! » (rire) Elle a trouvé ça très rigolo.
En fait ce sont les scènes qui a l’écran ont l’air très traumatisantes mais ça ne l’était pas de les tourner parce que les enfants trouvent cela très amusant, ils comprennent parfaitement la différence entre leur personnage et eux même et on tourne par petit bout. 20 secondes puis coupez ! ils courent dans tous les sens et ensuite ils se remettent dans l’étape de la 2ème prise donc c’était beaucoup plus facile que je le craignais en fait.
On sent dans le film tout un travail sur les textures. Beaucoup avec le bois au début, même le travail avec l’eau, et aussi avec les sons
quand le garçon écrase le crâne du chat on entend un craquement mais on va se focaliser aussi sur le corps du chat pour créer quelque chose de dérangeant avec les textures.
Avec la mise en scène comment vous avez travaillé ça ?
C’était vraiment un truc très important dans le film. Comment créer cette sensualité, cette sensation d’être enfant et aussi la manière dont les enfants découvrent le monde avec leurs doigts autant qu’avec leurs yeux. Je vois avec mes enfants que leurs mains ne restent jamais en place. Ils touchent sans cesse les choses autour d’eux et on s’est dit avec le chef op qu’il fallait capter ça et faire des gros plans sur les textures, sur leurs mains qui touchent des choses comme ça cela devient plus sensuel. Cela rappelle un peu comment on aperçoit le monde enfant et quand on voit quelqu’un qui gratte une croute, et qui la mange même, beaucoup on fait ça enfant, d’un coup ça déclenche le souvenir. Et ce n’est pas filmé de manière négative. Y a quelque chose de très effrayant quand on est adulte et que on comprend que c’est quelque chose de malsain mais ici ce n’est pas filmé de manière effrayante presque plutôt de manière solaire et infantile. C’est ça le but aussi et donc quand il y a des effets spéciaux ou des choses magiques, des choses effrayantes, on les a traité de la même manière afin de rester assez intime pour qu’on ressente les textures même dans les effets. Je crois que c’est vraiment quelque chose de plus efficace, plus intéressant et plus vrai pour les personnages.
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